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Charité : non, non, non !

Date: Vendredi 4 Juin 2004
De: Nicolas Graner
À: Groupe de discussion sur les dégénérescences rétiniennes
Objet: Charité : non, non, non !

Le mardi 1er juin 2004 a eu lieu une manifestation devant l'Assemblée Nationale, à Paris, où commençait l'examen d'un projet de loi sur le « droit à compensation » pour les personnes handicapées. L'un des slogans scandés à cette manifestation était : « Égalité : oui, oui, oui ! Charité : non, non, non ! »

J'ai toujours du mal à comprendre ce que c'est exactement que la charité.

J'ai appris autrefois que la charité était une vertu chrétienne, l'aumône un pilier de l'islam, et la fraternité était dans la devise de la république française. C'étaient des mots très positifs. Depuis peu ils ont pris un sens péjoratif. OK, les mentalités, les valeurs changent, c'est normal. J'ai l'impression d'avoir à peu près suivi du Moyen-Âge aux années 1980, mais depuis quelques années je suis un peu largué, je ne sais plus ce qui est « bien » et ce qui est « mal ».

Je vais essayer de m'appuyer sur des exemples concrets.

Je vais voir les gens dans la rue et je leur demande à chacun un euro. Ils sont libres d'accepter ou de refuser. Quand mille personnes me l'auront donné, j'aurai de quoi vivre pendant un mois. Ça c'est de la charité, c'est pas bien.

Je vais voir mon député, je lui demande d'obliger tous les contribuables à payer un euro d'impôt de plus, et grâce à ça il peut me verser 1000 euros par mois pour vivre. Ça c'est de la solidarité nationale, c'est bien.

Je vais voir un patron. Je lui dis : « je suis handicapé. Je peux travailler, peut-être moins efficacement que les autres mais j'ai beaucoup d'autres qualités à vous apporter. Embauchez-moi au même salaire que les autres. » Il me dit : « d'accord, ma boîte y perdra un peu mais je veux bien le faire ». Ça c'est du social, c'est bien... Ou alors c'est de la charité, c'est mal... je ne sais pas trop.[1]

Je vais voir un autre patron, je lui dis la même chose. Il me répond : « OK, je veux bien vous payer le même salaire que les autres, mais à condition que l'État me rembourse la différence entre votre productivité et celle d'un travailleur valide ». Ça c'est bien, c'est de l'aide à l'insertion. L'État dit : « d'accord, mais pour financer cette aide je vais augmenter les impôts des entreprises. » Ça c'est bien, c'est de la solidarité nationale.

Je dis la même chose à un troisième patron. Il me dit : « je n'ai aucune envie de vous embaucher, mais j'y suis obligé, parce que si je n'embauche pas de handicapés j'aurai à payer une amende qui me coûtera plus cher que ce que je perds en vous prenant ». Ça c'est vachement bien, c'est l'égalité des droits et des chances, la preuve c'est que je suis allé manifester devant l'Assemblée Nationale pour la réclamer.

Je vais faire mes courses au supermarché. Comme j'ai du mal à trouver mes produits dans les rayons, je demande à un ami de m'accompagner. C'est de la charité, c'est mal.

Avant d'aller au supermarché je téléphone au gérant pour lui demander s'il pourrait mettre un employé à ma disposition pour m'aider à faire mes courses. Il accepte sans me faire payer bien que je lui fasse perdre une demi-heure de travail de son employé. C'est de la bonne politique commerciale, parce que ça lui fait gagner un client et une bonne image ? Ou c'est du social, parce qu'il fait ça pour m'aider sans rien y gagner ? Ou c'est de la charité ?

Pour faire mes courses, je paye quelqu'un qui m'accompagne, et comme c'est un surcoût lié à mon handicap je fais valoir mon « droit à compensation » et l'État me rembourse cette paye. Ça c'est l'égalité des chances, c'est bien.

Bon, je ne vais pas continuer pendant trois heures, mais honnêtement j'ai du mal à m'y retrouver. Comment savoir ce qui est bon ou mauvais pour les handicapés ? Est-ce que tout ce qui vient de l'État est bon et tout ce qui vient des individus est mauvais ? Est-ce que tout ce qui est obligatoire est bon et tout ce qui est volontaire est mauvais ? Ou est-ce plus compliqué que ça ?

Note [1] : Lorsque ce texte a été diffusé sur RPliste, l'un des abonnés a répondu : « ce n'est ni du social ni de la charité, c'est de la science-fiction ! » Je crois qu'il a malheureusement raison.


Nicolas Graner, 2004, Licence Art Libre