Aller au menu
Aller au pied de page
Retour vers Avatars de Nerval

Avatars de Nerval

Meurtrier

Francis Assaf

Précédent : Métropolitain Un avatar au hasard Suivant : Michalien

Voir aussi :
Bavure
Criminel
Fourestien
Incompréhension
Interrogatoire
Interrogatoire 2
Interrogatoire 3
Militaire

Panique et hystérie

Les yeux exorbités, il planta la lame du poignard dans la gorge de Jenny Colon en hurlant : « Tiens, salope ! ». Un flot de sang jaillit, inondant de pourpre son gilet. Jenny s'effondra sans vie sur le plancher.

Hagard, les cheveux et les vêtements en désordre, il s'élança hors de l'appartement et galopa vers le commissariat le plus proche.

— Aidez-moi, au secours ! geignit-il en agrippant la manche de l'agent de service.

— Allons, Monsieur Gérard, qu'est-ce qu'il y a cette fois-ci ? demanda l'agent sur un ton où se mêlaient l'amusement et l'agacement.

— Je suis ténébreux de vision, je viens de tuer ma femme ! Je suis veuf ! Je suis inconsolé !

— Encore ? demanda l'agent. Sur un ton hystérique, de plus en plus aigu, Gérard se mit à psalmodier :

— Je suis un prince d'Aquitaine déchu ! Ma tour est abolie ! Jenny, ma seule étoile, est morte ! Mon luth constellé (que j'ai ramené de Beyrouth) est frappé du soleil noir ! Ô mélancolie !

— Vous êtes sûr de tout ça ? demanda l'agent, qui avait du mal tout ensemble à dégager sa manche et à ne pas éclater de rire.

— Je suis dans la nuit du tombeau ! Ô Jenny, toi qui m'as consolé, qu'est-ce que je t'ai fait ? Qu'on me rende le Pausilippe et la mer d'Italie ! La treille ! Le pampre ! La rose ! Haaaaaa ! Je ne sais plus qui je suis ! Amour, Phébus, Lusignan, Biron ! Hein, qui suis-je ?

— Vous vous appelez Gérard, Monsieur Labrunie, rétorqua l'agent. Vous êtes un client régulier ici. Je me demande si cette fois je ne dois pas envoyer chercher les infirmiers de Charenton.

— Regardez mon front ! Il est rouge encore du baiser de la reine !

— Quelle reine ? demanda l'agent, qui commençait à en avoir assez de ce loufoque.

— La sirène ! Elle nage dans la crotte... je veux dire la grotte. J'en rêve ! Et l'Achéron, hein l'Achéron ? cria Gérard. C'est pas de la tarte ! Je l'ai traversé deux fois en vainqueur ! En jouant de la lyre ! La lyre d'Urfé... euh... d'Orphée.

À ce moment, une femme d'une quarantaine d'années, un peu lourde, entre dans le commissariat.

— Ah, je me doutais bien qu'il serait ici ! dit-elle. Il me fait une nouvelle crise. Il a encore oublié de prendre ses gouttes, ce couillon !


© Francis Assaf – 2017