Aller au menu
Aller au pied de page
Retour vers Avatars de Nerval

Avatars de Nerval

Restaurant 2

Francis Assaf

Précédent : Restaurant 1 Un avatar au hasard Suivant : Restriction digrammatique

Voir aussi :
Cuisine anglaise
Culinaire 1
Culinaire 2
Gastronomique
Œnologique
Restaurant 1
SOS

Au restaurant

(Le maître d'hôtel) Monsieur ?

— C'est pour dîner.

— Vous avez une réservation ?

— Labrunie Gérard. Une seule personne.

— Ah, oui. Effectivement. Monsieur Labrunie. Mais la réservation a été faite pour deux personnes.

— Hélas ! Je viens de perdre ma femme. Je suis veuf de fraîche date.

— Et vous venez dîner dans ce restaurant pour vous consoler, n'est-ce pas ?

— Oh, je suis inconsolé, vous savez. Je ne suis à Paris que depuis peu. J'ai déménagé de l'Aquitaine, où je vivais comme un prince, jusqu'à ce que la tour que j'habitais s'écroule.

— Oh ! Pardon, monsieur. Et que faisait feue madame votre épouse ?

— Elle était danseuse-étoile à l'opéra de Toulouse. Et maintenant elle est morte. (Il fond en larmes.) Il ne me reste qu'un souvenir d'elle, le luth avec une étoile d'argent incrustée qu'elle m'a offert. Mais c'est plutôt un soleil noir, maintenant. Un soleil mélancolique.

— Avez-vous une préférence quant à votre table ?

— Un coin ténébreux. Noir comme la nuit du tombeau. Peut-être cela me consolera-t-il, peut-être non. Ah Dieu ! Que ne suis-je à Naples, avec devant moi le Pausilippe, derrière la mer d'Italie ! Au moins les fleurs auraient plu à mon cœur désolé ! Ah ! dîner sous une treille, avec des pampres et des roses !

— Malheureusement, nous n'avons pas ça ici.

— Que ne donnerais-je pour sentir ses lèvres sur mon front ? Même avec une trace de rouge. Vous savez, il y a de fameuses grottes dans la baie de Naples. Elle adorait nager là. Une vraie sirène.

— Et monsieur prendra un apéritif ?

— Vous connaissez le cocktail Amour-Phébus ?

— Je vais demander au barman. (Il revient au bout de cinq minutes.) Le barman dit que nous ne le faisons pas. Mais un Lusignan-Byrrhon bien frappé, avec une tranche d'orange et une cerise au marasquin, c'est aussi bon, dit-il.

— Va pour le Lusignan-Byrrhon. En entrée, je prendrai un cocktail de crevettes de l'Achéron. Ce sont les meilleures. J'en ai dégusté deux fois.

— Très bien. Et comme plat principal ?

— Un filet d'orphée aux cèpes, mais avec la sauce assez courte. (Le maître d'hôtel soupire. Puis on entend des cris venant de la cuisine.) Que se passe-t-il ?

— Oh, c'est le sous-chef, Lafaie. Il crie comme ça chaque fois qu'il se brûle. Il est très maladroit, vous savez.

— Tant pis pour lui.


© Francis Assaf – 2016